2 Octobre 2009
Entretien avec Aldo Naouri, pédiatre pendant 40 ans, et auteur de nombreux ouvrages sur la famille dont « Eduquer ses enfants, l'urgence aujourd'hui » (Odile Jacob, 2008).
Les parents qui travaillent beaucoup causent-ils du tort à leurs enfants, de par leurs absences ?
Non, c’est une idée fausse ! En principe, cela ne devrait pas entraîner d’incidents pour l’enfant, car il n’a jamais rien connu d’autre que cet univers. Quand un bébé de trois mois va à la crèche pendant 12 heures et retrouve sa mère le soir, il la reconnaît sans aucune confusion, et poursuit son développement sans traumatisme ! Les enfants n’expriment jamais de regret sur l’absence de leurs parents, d’autant que leur nounou fait office de substitut.
Mais le problème survient dans un second temps : en raison de leurs absences liées à des agendas chargés, les parents développent une mauvaise conscience. Une fois à la maison, ils cherchent à compenser en exagérant leur sollicitude vis-à-vis de leur progéniture. Le pire est que les grands-parents en rajoutent : « oh, le pauvre petit, regarde, il est tout seul, il n’est pas bien ». L’enfant, auquel ses parents n’osent plus rien refuser, est alors livré à la violence de ses pulsions, sans qu’à aucun moment il ne rencontre d’injonctions limitantes. C’est précisément ceci qui s’avère une profonde source d’angoisse pour lui.
Désormais habitué à tout recevoir sans lever le petit doigt, l’enfant d’aujourd’hui considère que tout lui est dû. On est passé d’une société où l’on disait aux enfants « non, tu ne peux pas tout avoir » à un univers où il comprend : « j’ai droit à tout ». Cette génération, d’ailleurs, va poser des problèmes, car elle ne sait plus ce qu’est l’effort.
Quelle attitude les parents aux agendas surchargés doivent-ils alors adopter ?
Ils doivent agir comme s’ils étaient là toute la journée, même s’il leur paraît scandaleux d’avoir à sévir alors qu’ils rentrent à 22 heures. Il faut un retour à plus de limites, et plus de frustration. Il faut recréer du manque chez l’enfant. Il ne faut pas être dans la séduction, mais dans l’éducation.
Concrètement, comment agir au quotidien ?
Des choses aussi basiques que dire à son enfant : « il est 21h, va dormir », et se faire obéir, c’est déjà aujourd’hui un exploit ! Au moment du repas, je déconseille de lui proposer, comme je l’entends trop souvent « mon chéri, tu préfères du riz, des pâtes ou des pommes dauphine ? », mais plutôt de lui dire : « ce soir, je fais des pâtes ». Véritable pratique en perdition, le dîner avec tous les membres de la famille ensemble à table, est à maintenir absolument : c’est bien là que l’enfant mesure sa place par rapport aux autres. Si le parent donne un ordre, inutile de se lancer dans des explications à n’en plus finir, sauf si l’enfant le réclame. Et il faut arrêter de le gâter sans fin : plutôt que lui donner, comme je l’ai vu plus d’une fois, 20 euros d’argent de poche dès 8 ans, octroyez-lui un euro tous les quinze jours, c’est amplement suffisant. Je trouve aussi effrayant que l’enfant ait tout dès son plus jeune âge dans sa chambre : télévision, iPod, ordinateur, téléphone portable, DVD par collections entières… Tout ceci est très toxique