14 Août 2010
: Luc 1, 39-56
Il n'y a aucun passage de la Bible, de l'Ecriture, du Nouveau Testament, qui parle de l'Assomption de la Vierge Marie.
Ce mystère, que nous célébrons dans l'Eglise depuis très longtemps est né d'une tradition très ancienne, qui a été recueillie, acceptée par nos Eglises - tradition très belle, que l'on trouve manifestée en Occident, principalement dès la construction des cathédrales où sur tous les portails, nous voyons Marie enlevée au ciel, portée par les anges. Tradition qui trouve sa source, indirectement, dans l'Ecriture.
Et tradition qui nous invite, à travers ces trois lectures que nous avons - et qui ne parlent pas directement de la mort et de la résurrection de Marie - tradition qui nous invite à faire la part des choses, et à ne pas confondre les grandes traditions de l'Eglise avec des traditions populaires qui sont très belles, mais très insuffisantes.
Par exemple, Marie n'est pas un intermédiaire entre Jésus et nous, c'est contraire à la foi de l'Eglise. Marie n'est pas un intermédiaire entre Dieu et nous. Si Dieu s'est fait homme en Jésus Christ, c'est pour être directement notre intermédiaire. On ne dit pas de Marie qu'elle " habite nos cœurs par la foi ", on dit ça de Jésus ressuscité ; on ne dit pas de Marie que c'est elle " qui vit en nous " comme dit saint Paul, c'est " le Christ qui vit en moi " ; on est directement en contact avec le Christ, on n'a pas besoin d'intermédiaire. C'est tout le sens de la foi chrétienne. Si Dieu s'est mis à notre niveau en Jésus et dans l'Esprit Saint, ce n'est pas pour avoir un nouvel intermédiaire entre Jésus et nous. L'intermédiaire, c'est Jésus. Et dans les Evangiles, on ne voit jamais Marie - sauf une fois, et encore - servir d'intermédiaire entre Jésus et les hommes de son temps : c'est à Cana, lorsqu'elle fait signe à Jésus qu'il n'y a plus de vin pour la célébration ; et que Jésus la rabroue d'ailleurs, en disant : " qu'est-ce que ça peut te faire, ça n'est pas ton problème " ; et Marie, qui a exactement la réponse de la foi : " Faites ce que Jésus vous dira lui-même ". Pas besoin d'intermédiaire entre Dieu et nous, puisqu'il s'est fait homme et qu'il s'est fait son propre intermédiaire. Et que, véritablement, même quand nous prions, " nous n'arrivons pas à prier - saint Paul écrit - l'Esprit Saint vient au secours de notre prière " directement, en nos cœurs.
Alors, pourquoi célébrer Marie ? Eh bien, les trois lectures d'aujourd'hui nous montrent que la célébration de Marie est beaucoup plus importante et beaucoup plus marquante que celle de la ramener - c'est facile - à être l'intermédiaire. Jésus est loin, Marie est proche, c'est une femme, c'est une mère : allons-y, prions ! C'est beau, mais c'est pauvre. C'est beau, mais c'est insuffisant.
Il ne s'agit pas de renoncer à nous tourner vers celle qui est la Mère de Jésus. Mais comment ?
Eh bien, l'Ecriture nous montre trois manières de le faire.
Dans la 1ère lecture,
... il n'est pas question de Marie du tout. Nous avons une vision de l'Apocalypse, qui est une vision du peuple de Dieu. Cette femme, avec douze étoiles, qui a la lune sous ses pieds, et que le dragon cherche à dominer, cette femme, c'est le peuple d'Israël qui met au monde le Messie ; et qui, ayant mis le Messie au monde, devient l'Eglise - et une Eglise dont on nous a dit que les puissances du mal n'arrivent pas à la vaincre. C'est bien le sens de cette première vision : les puissances du mal n'arrivent pas à vaincre l'Eglise.
La piété populaire a fait de Marie cette femme, et ce n'est pas un tort à ce niveau. On a fait des statues avec les douze étoiles et avec la lune sous les pieds de la Vierge. Pourquoi ? Parce que l'Eglise a toujours pensé que Marie symbolisait l'Eglise, symbolisait le peuple nouveau. D'ailleurs, dans l'Israël ancien, le peuple était comparé à une épouse, à la bien-aimée de Dieu. Et dans le Nouveau Testament, Marie est figure de l'Eglise. La preuve en est que le dernier Concile du Vatican a refusé de faire un traité spécial sur la Vierge Marie ; il a inclus ce qui était de Marie dans le traité sur l'Eglise.
Marie est le symbole et l'image de l'Eglise, du peuple de Dieu que rien ne peut abattre ; une victoire qui n'est pas dominante, qui n'est pas oppressive, mais une victoire qui est une puissance de résistance que rien ne peut abattre. Et c'est là la 1ère leçon de cette fête pour nous : Marie, collaboratrice de Dieu dans la naissance de Jésus - à qui il a été confié, par Jésus, du haut de sa croix, d'être la mère de tous les fils de Dieu, et pas seulement de lui - Marie est la collaboratrice de Dieu, et c'est pour ça qu'elle est le peuple de Dieu qui est collaborateur de Dieu. Dieu sauve l'humanité par un peuple qu'il a choisi, le peuple juif ; et par l'Eglise, les chrétiens ; mais le salut est offert à tous les hommes de toutes races, de toutes religions, de toutes époques. On voit très bien le rôle de Marie qui est l'instrument, en quelque sorte, la collaboratrice vraiment, l'accompagnatrice, du peuple de Dieu qu'elle représente.
Et nous sommes ce peuple de Dieu dès que nous sommes rassemblés au nom de Jésus ; il est au milieu de nous directement, car nous sommes son peuple ; et au milieu de nous avec tous ceux qu'il porte dans sa gloire, et tous les saints qui nous ont précédés ; et au premier rang de tous les saints : Marie, sa mère. Mais Marie n'est pas une intermédiaire, c'est une associée, une collaboratrice. Et nous-mêmes, croyants, nous ne pouvons pas être croyants sans être associés à tout ce peuple de Dieu. On est croyants en Eglise, on ne peut pas être baptisés hors de l'Eglise, on ne peut pas participer à l'Eucharistie du Christ hors de l'Eglise, on ne peut pas recevoir la foi hors de l'Eglise. L'Eglise a commencé par nos familles, nos parents, nos communautés familiales.
La fête de Marie glorifiée qui résiste, dans cette image, l'Eglise qui résiste aux forces du mal, c'est la fête de notre image de chrétiens, en Eglise, résistants aux forces du mal. L'Eglise qui est chargée de cela, malgré son péché, malgré sa magouille, malgré tous les troubles de l'histoire qu'elle a pu vivre… La foi des chrétiens qui se manifeste dans les saints, c'est la foi de ceux qui ont fait de grandes révolutions dans l'Eglise : un saint Vincent de Paul, un saint Dominique, un abbé Pierre, une mère Teresa - pour prendre les plus récents - nous montrent à quel point l'Eglise est résistante, et nous sommes dans cette résistance, par notre foi qui agit par la charité. Marie est à côté de nous et avec nous, comme le modèle de ce que nous devons être en Eglise. Nous sommes des chrétiens en communauté, pas possible d'être autrement. 1ère leçon - indirecte - de cette fête.
La seconde Lecture nous dit :
regardez Jésus, il est ressuscité. Saint Paul nous dit : nous sommes tous appelés à la résurrection. Jésus est le premier ressuscité. " C'est par un homme que vient la résurrection ", la résurrection vient par Jésus ; et nous sommes appelés à ressusciter en Jésus. " C'est dans le Christ que tous revivront, mais chacun à son rang. " Et si la tradition de l'Eglise a fait de Marie la seconde ressuscitée, en quelque sorte - encore qu'on ne peut pas expliquer ce que c'est que la résurrection, on ne peut pas savoir le moment de la résurrection, c'est là un mystère que Dieu ne nous a pas fait connaître, qui appartient au secret de Dieu - comment entrons-nous dans la plénitude de Dieu avec notre vie transfigurée ; l'Eglise croit que Marie est entrée dans la plénitude de Dieu, dans sa vie de femme transfigurée, c'est ce que nous célébrons aujourd'hui.
" C'est dans le Christ que tous revivront, chacun à son rang : en premier le Christ ; et ensuite, ceux qui seront au Christ ", nous, et ceux qui nous ont précédés, et ceux qui nous suivront. Marie, là encore, est le type, l'exemple, le modèle, de notre propre vocation. Quand nous la regardons, nous avons un signe qui nous est donné, que l'Eglise nous propose dans notre foi ; un signe que la résurrection de Jésus, c'est quelque chose qui va se communiquer. Marie est appelée à collaborer avec Jésus jusque dans cette résurrection. Première ressuscitée, elle accompagne le Christ ressuscitant les morts. Mystère du peuple de Dieu.
Et puis le 3ème lecture...
... nous montre pourquoi Marie a ce rôle dans l'Eglise, pourquoi elle a ce rôle type, exemple de notre résurrection ? Eh bien parce qu'elle nous est présentée - c'est pour ça que ce texte a été choisi - comme croyante. Marie est ce qu'elle est car elle est la première des croyantes.
Dans le récit de l'enfance de Jésus en saint Luc, la première rencontre de Marie, c'est l'Annonciation qui lui est faite de la naissance de Jésus, et à laquelle elle répond : " Seigneur, que cela m'arrive selon ta parole, je suis la servante du Seigneur ". Marie a dit " oui ", comme Jésus lui-même a dit " oui ". Jésus a été celui qui, toute sa vie, a dit : " Je ne suis venu que pour faire la volonté de mon Père… Mes œuvres sont celles du Père… Mes paroles sont celles du Père… Je ne fais rien de moi-même… Le Père et moi, nous sommes un… "
Et nous avons, dans l'Ecriture - directement, cette fois-ci - à propos du portrait de Marie, celle qui n'hésite pas à dire : " Je suis la servante du Seigneur, que cela m'arrive selon ta parole. " Et quand elle rencontre sa cousine Elisabeth, dans le 2ème acte de cet Evangile de l'Enfance - cet Evangile poétique qui relit toute la vie de Jésus à travers le mystère de son enfance - Elisabeth salue Marie et lui dit : " Heureuse, toi qui a cru.
Si Marie participe à la vie de l'Eglise, si Marie participe à la gloire du Christ, cette masse de gloire qui est donnée au-delà de toutes les misères de cette vie, c'est parce qu'elle a cru. " Heureuse es-tu, toi qui a cru à l'accomplissement des paroles qui te furent dites de la part du Seigneur. " Et cette parole d'Elisabeth rejoint la dernière parole de Jésus ressuscité, dans l'Evangile de saint Jean : " Heureux ceux qui ont cru sans avoir vu. " Quand Marie a cru, elle a cru sans avoir vu. Elle a cru à la parole de l'Ange qu'elle concevrait un enfant de l'Esprit Saint, elle n'avait pas vu, elle ne l'avait pas encore vécu, elle a cru d'avance, elle a cru sans voir. Et nous croyons sans voir. Et c'est pour ça que tout s'enchaîne, dans cette femme que nous célébrons - à juste titre - comme la première des croyantes, comme celle qui résume notre Eglise, et celle qui est le symbole, parmi nous, que la résurrection du Christ se communique, et qu'elle est contagieuse jusque dans notre vie.
Et alors le Cantique de Marie montre bien ce que ça veut dire la foi, la foi qu'elle a vécu et la foi que nous vivons. Elle constate que le bonheur de l'homme, c'est que Dieu se penche sur lui ; le bonheur de l'homme, notre bonheur de chrétiens, c'est que Dieu s'est penché sur nous, il nous a rencontrés. Tous ne sont pas chrétiens, tous n'ont pas rencontré Dieu, tous ne sont pas nés dans des familles chrétiennes, tous n'ont pas été convertis par un grand évènement dans leur vie… Deux milliards d'hommes environ l'ont été - soit par transmission de leurs parents, soit par découverte personnelle…
Nous sommes bénis de Dieu parce que Dieu s'est penché sur nous, tout est grâce. Marie a tout reçu par grâce, nous avons tout reçu par grâce. Nous n'avons aucun mérite ; Marie n'a aucun mérite, elle est celle que le Seigneur a choisie par grâce, et elle est entrée, elle a accueilli ce don de Dieu en disant " oui ". C'est là également notre vocation. Mais quand on dit ce " oui ", on entre dans une démarche de victoire sur le mal, de résistance au mal.
Et quel est le mal qui nous menace intérieurement ? C'est ce que dit ce Magnificat : " Le Seigneur disperse les superbes, le Seigneur renverse les puissants, le Seigneur renvoie les riches les mains vides. Le mal, pour nous, c'est quand nous devenons superbes, sûrs de nous, maîtres de nous, qui imposons notre volonté, que nous décidons que nous sommes maîtres de notre vie et de celle des autres… Dieu disperse les superbes. Ce n'est pas là qu'est le salut de Dieu. Dieu renverse les puissants, tous ceux qui prennent le pouvoir partout, dans les familles, dans les communautés, dans l'Eglise, dans le monde, dans les magouilles politiques et autres, dans les violences, dans ces gens qui ont encore massacré 180 irakiens cette nuit, etc… Dieu renverse la puissance en nous, qui est une tentation permanente ; la richesse en nous : " iIl renvoie les riches les mains vides " ; nous devons être pauvres de nous et riches de Dieu, c'est ce qu'a été Marie. Et nous voyons que dire " oui " à Dieu, être bénis parce que Dieu s'est penché sur nous, ça entraîne une démarche de " oui " qui se manifeste par l'humilité : " il élève les humbles " ; les affamés : de quoi sommes-nous d'abord affamés ? Affamés de vie, certainement, heureusement, nous sommes là pour ça. Mais notre vie, qu'est-ce que c'est ? Est-ce que c'est la vie selon Dieu, la vie selon la qualité d'abord, plutôt que la vie selon le confort ?
Voilà toutes les questions que nous pose le " oui " de Marie, à l'exemple du oui de Jésus. Et c'est pour ça que, quand nous la regardons, nous disons : quel magnifique exemple nous est offert, quelle magnifique méditation nous propose-t-elle !
Alors, ne la ramenons pas seulement à un rôle qui n'est pas le sien, de nous rapprocher Jésus. Qui devons-nous être ? A l'image de Jésus, c'est la plus belle image de Jésus qui soit. Nous devons comme Marie être cette image, imitons-là, comme nous cherchons à imiter Jésus.