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Le blog de l'Abbé Benoît

Un blog qui donne de vivre joyeusement sa foi en Dieu Trinité. Faire connaître, aimer, adorer, louer Dieu en tout tant et en toute circonstance et vivre constamment dans l'action de grâce.

Temps du Carême, 4ème Dimanche C : Luc 15, 1…32

Temps du Carême, 4ème Dimanche C : Luc 15, 1…32

L'évangéliste Luc, dont nous lisons l'Evangile tout au long de cette année, a la spécialité de développer un certain nombre d'histoires - qu'on appelle des paraboles - qui sont des histoires illustrées ; histoires par lesquelles Jésus répond à des questions ou explique des situations. Ainsi, nous avons la parabole dite du bon samaritain, une belle histoire - nous avons celle du pharisien et du publicain, c'est encore une autre belle histoire - et nous avons la plus belle de ces histoires qui est celle du père et de ses deux fils, que nous venons de lire aujourd'hui. Histoire qui illustre une attitude de Jésus et fait comprendre quelle est sa mission et ce qu'il révèle de Dieu à travers cette mission.

Mais ici, ce n'est pas seulement une histoire illustrée, c'est une histoire illustrante, car elle répond à une situation bien particulière ; cette situation de Jésus qui accueille des pécheurs publics que sont les publicains - des gens qu'on n'a pas le droit de fréquenter, ce sont des collaborateurs que la société rejette, que les bons croyants de la société rejettent - Jésus fréquente ces gens-là, il mange avec eux ; et c'est ce qui met en colère les pharisiens et les scribes, les responsables, les savants, les docteurs qui récriminent contre lui car ils n'acceptent pas cette attitude de Jésus.

Donc, nous avons dans cette situation trois partenaires : nous avons Jésus qui agit d'une certaine façon, nous avons les publicains et les pécheurs qui accueillent son action, et nous avons les pharisiens et les scribes qui refusent son action. Et dans la parabole, dans l'histoire illustrante que nous avons, nous retrouvons ces trois éléments : Jésus est le symbole du Père qui accueille son fils pécheur, le fils aîné est le symbole des pharisiens et des scribes ; et bien sûr le fils cadet, le pécheur, est symbole des publicains et de ceux que Jésus fréquente. Donc, une histoire illustrante.

Et à partir de là, un mystère est à découvrir dans ces trois personnages.

Le premier, bien sûr, c'est le fils prodigue.

Il veut absolument jouir de la vie, il veut être maître de sa situation, il demande son bien, il l'obtient, il s'en va, il fait n'importe quoi ; il gaspille tout ; et vraiment, d'après les textes, il se couvre de toutes les ignominies possibles. Lui, le riche, il va devoir garder des porcs sans avoir de quoi se mettre sous la dent ; lui, fils d'une famille aisée - un père qui a des ouvriers, des domestiques - il va devenir un homme impur, il va s'embaucher pour garder les porcs ; les porcs sont des animaux impurs, dont on refuse non seulement la nourriture, on ne mange pas la viande - mais en même temps, qui est signe qu'il est allé perdre la foi chez les païens, il est devenu un incroyant ; il est devenu quelqu'un qui n'a plus aucune valeur dans la vie, qui a perdu toute sa dignité. Il est devenu un gâteux, un esclave, il n'est plus rien. L'accent est mis vraiment sur cette déchéance - la façon dont les publicains étaient vus à l'époque.

Et ce garçon plein de déchéance, il a le réflexe de dire quand même : il vaut peut-être mieux être esclave chez mon père - car nous sommes à l'époque de l'esclavage, nous ne sommes pas à l'époque des lois sociales - il vaut mieux être esclave chez mon père et avoir de quoi manger, que de vivre dans cette misère. Et il va essayer d'aller quémander une place d'esclave chez son père, en disant : je n'ai plus droit à rien, ma part je l'ai eue, ma justice je l'ai eue ; j'ai tout gâché, je n'ai plus que la possibilité d'être embauché comme esclave chez mon père. Et il pense que son père va être un bon entrepreneur, un bon employeur qui va le prendre comme esclave.

Voilà ce fils, qui n'imagine pas du tout l'accueil que va lui réserver son père.

Face à lui, l'autre, le frère aîné.

Oh lui, il est bien, il est juste, il fait tout ce qu'il y a de bien, il a tous les droits. En effet, il a droit à tout l'héritage, puisque le fils cadet a eu sa part, il est chez lui, c'est un homme bien - symbole des scribes et des pharisiens - il accomplit la Loi, il fait le boulot, il ne perd pas de temps à demander un chevreau pour faire la fête. C'est vraiment quelqu'un de juste. Mais qui n'accepte pas que son père soit bon, que son père sorte de la justice et du droit. Il n'y a aucune raison pour lui que son père accueille son frère. Il refuse d'entrer dans la salle des festins. Son père l'en supplie. On ne sait pas s'il a répondu à l'invitation de son père.

On voit très bien cet homme, caricaturé par Jésus dans cette belle histoire, cet homme qui est sûr de lui et qui sait qu'il est bien ; le bon croyant, le bon juif - pourquoi pas le bon chrétien ?

Et puis, la découverte du père.

Le père est celui qui s'abaisse. Un homme de rang ne court pas. Le fait qu'il court, c'est signe qu'il perd sa dignité, il s'abaisse ; et il va se précipiter vers son fils qu'il voit revenir de loin, il fait le premier pas, il se jette à son cou. Et puis, il le réhabilite d'une façon extraordinaire : il le couvre de baisers - ce qui peut se comprendre - c'est l'amour d'un père pour son fils ; et il fait la fête, et quelle fête ! Il faut changer l'habit de son fils, il lui rend sa dignité, lui met des habits de fête, les plus beaux vêtements pour l'habiller, une bague au doigt, des sandales aux pieds : il le traite comme un invité de marque. Et c'est la fête et le festin, avec orchestre et tout… Accueil gratuit, au-delà de tout ce qu'on pouvait espérer.

Voilà comment Jésus répond à ceux qui l'accusent de manger avec des publicains et avec des pécheurs. Et on s'aperçoit qu'il révèle une image de Dieu inattendue.

L'image du père inattendue par les deux fils : le cadet ne s'attendait pas à cet accueil, il ne voyait pas son père comme ça ; il le voyait comme un homme qui aurait pu l'embaucher comme esclave, à la rigueur, avec un minimum de pitié, car il cherchait une place ; d'autre part, il restait égoïste, dans ce sens que ce qu'il cherchait, c'était d'avoir une place pour lui. Bien sûr, il dit qu'il a péché contre son père. Mais pourquoi retourne-t-il ? " Tant d'ouvriers chez mon père ont de quoi manger " : ce qui le pousse, c'est retrouver un certain confort. Nous sommes loin du regret profond d'avoir offensé son père.

Et le fils aîné n'imagine pas que son père puisse s'abaisser à un tel niveau. Les disciples de Jésus ont eu du mal à croire qu'il serait un Messie serviteur, jusqu'à donner sa vie à mourir comme un damné, un esclave sur une croix. Jésus est l'image de ce père, et il révèle que Dieu est ainsi - et non pas ce que l'on croit.


Alors, face à cela, comment nous laissons-nous interpeller par cette parabole ? Elle n'est pas dite pour illustrer une réponse que Jésus fait aux pharisiens pour justifier sa propre attitude. Cette parabole nous concerne. D'abord, elle nous pose plusieurs questions.

La 1ère est la suivante :

comment sommes-nous prêts à accueillir dans notre communauté d'Eglise, nos communautés, tous les hommes - y compris ceux qui n'ont aucune dignité, qui n'ont aucun mérite, qui n'ont aucune valeur ? Comment acceptons-nous que Dieu soit aimant, gratuitement, à ce point ? Comment acceptons-nous qu'on ne peut pas en rester à la justice et à ses droits - c'est déjà le minimum - on ne peut pas aimer si on ne respecte pas la justice et les droits des autres ; on ne peut pas aimer si on n'a pas conscience de ses droits, c'est vrai. Mais comment accepter ce dépassement au-delà du droit, au-delà de la justice, et devenir miséricorde absolue à la façon de Dieu ? Question qui est posée. Est-ce que nous acceptons une Eglise, un Règne de Dieu, une humanité où finalement va régner la gratuité de l'amour, et non pas le mérite de ceux qui ont cru bien faire toute leur vie ?

Nous sommes là au cœur du christianisme. Ce n'est pas la Loi qui nous sauve, ce n'est pas l'obéissance aux commandements qui nous sauve. Nous n'avons aucun mérite. C'est la grâce de Dieu, gratuite, non méritée, inattendue, toujours à découvrir, qui nous sauve. Ça a été tout le problème de l'Eglise primitive, tout le problème de Jésus d'abord, avant eux : les pharisiens voulaient appliquer la Loi, ils vont mettre Jésus à mort parce qu'il n'appliquait pas la Loi comme ils voulaient qu'il l'appliquât. Et saint Paul va nous faire le grand éloge de la grâce : " C'est par grâce que vous êtes sauvés, vous n'y êtes pour rien, c'est un don de Dieu. " Nous avons du mal quelquefois à passer de la théologie du mérite à la théologie de la grâce. Si nous avons des mérites, ce sont les fruits de l'Esprit que Dieu nous a donnés, nous n'en sommes pas entièrement responsables.

Ce qui nous est demandé, c'est le regard, c'est le retour, c'est l'attitude minimale du frère cadet, l'attitude minimale du pécheur qui dit : " peut-être que mon père m'embauchera comme esclave " - et cela suffit pour que la miséricorde de Dieu pénètre notre vie et nous invite à dépasser un monde où simplement règnent le droit et la justice, ou le mérite. Est-ce que nous acceptons ce passage ? C'est au-delà de l'amour, dans la gratuité absolue.

Et puis, 2ème question qui nous est posée :

est-ce que nous acceptons que Dieu soit ainsi ? Car c'était la véritable querelle autour de la personnalité de Jésus : que Dieu soit ainsi, que Jésus mange avec les publicains et les pécheurs. Jésus nous a révélé que Dieu est Amour. Est-ce que nous acceptons que Dieu soit ainsi ? Nous préférions peut-être une autre image de Dieu, plus rassurante, moins surprenante. Que nous acceptions d'entrer dans un monde où, véritablement, Celui qui nous guide, c'est la gratuité, c'est l'amour, c'est la pauvreté du cœur qui accueille un amour qui le transfigure : est-ce que nous acceptons ça ? Nous avons des images de Dieu, c'est normal. On ne peut pas penser sans images. Est-ce que nous entrons dans ce dépassement ? Il faut chaque jour redécouvrir que Dieu est au-delà de tout, de toutes nos images, de tous nos fantasmes, de tous nos désirs, de tous nos souhaits.

Et c'est là que saint Paul a un texte magnifique qui est l'illustration de cette page : c'est la fin du 3ème chapitre de la Lettre aux Ephsésiens : " Je fléchis les genoux - dit-il - devant le Père de Jésus notre Seigneur, de qui toute paternité au ciel et sur la terre tient (le Père au-delà de tout). Que le Christ habite en vos cœurs par la foi, que vous soyez enracinés dans l'amour. Et vous comprendrez la hauteur, la largeur, la longueur, la profondeur, l'amour de Dieu qui dépasse tout ce qu'on peut imaginer, et vous entrerez, par votre plénitude, dans la plénitude de Dieu " - laissez-vous faire par cet amour, laissez-vous aller dans cet amour, ouvrez-vous à cet amour. Paul a magnifiquement compris cette parabole du père et de ses deux fils. Et à la fin, il ajoute : " A celui qui peut faire au-delà, infiniment au-delà de tout ce que nous pouvons imaginer et concevoir, à lui la gloire pour les siècles. "

Et la 3ème question :

face à nos échecs, nous sommes aussi le fils cadet, nous sommes pécheurs. Bien sûr, nous ne sommes pas dans cette déchéance du pécheur absolu tel qu'il est décrit ici. Mais est-ce que nous avons cette confiance en Dieu, que n'avait pas le fils cadet qui retourne vers son père en disant : " peut-être ". Est-ce que nous avons cette certitude que, dans la foi, Dieu est riche en miséricorde. Est-ce que nous avons cette confiance que quelqu'un nous aime ? Et qu'au-delà de toutes nos misères, au-delà de tous nos échecs, au-delà de tout ce qu'on n'arrive pas à faire, au-delà de tous les désirs ratés - qui finalement sont des désirs de pouvoir… est-ce qu'au-delà de tout ça, nous avons la pauvreté de dire : quelqu'un m'aime, quelqu'un m'attend, je lui fais confiance, c'est lui qui me sauve, sans lui je ne peux rien faire ?

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